Le patrimoine industriel

Verrière de la basilique de Saint-Quentin où sont représentés des tondeurs de draps, fin XVème siècle. Ville de Saint-Quentin, F. Pillet

Verrière de la basilique de Saint-Quentin où sont représentés des tondeurs de draps, fin XVème siècle.
© Ville de Saint-Quentin, F. Pillet

Au XIIème siècle, Saint-Quentin est une ville « drapante » prospère, où les négociants s’échangent les draps de laine. Au commerce de la laine s’ajoutent l’apprêt des draps et le négoce de la guède produite dans le Vermandois, dont on extrait le pigment bleu. Une grande foire annuelle, la foire de l’octave de Pâques, est attestée au XIIème siècle. Reportée au 9 octobre à partir de 1319, à la Saint Denis, elle est encore aujourd’hui une fête locale incontournable. La draperie saint-quentinoise, en déclin dès le XIVème siècle, ne se relève pas du sac de la ville lors du siège espagnol de 1557.

Verrière de la basilique de Saint-Quentin où sont représentés des tondeurs de draps, fin XVème siècle. Ville de Saint-Quentin, F. Pillet

Verrière de la basilique de Saint-Quentin où sont représentés des tondeurs de draps, fin XVème siècle.
© Ville de Saint-Quentin, F. Pillet

Apparue sans doute dès la fin du Moyen Âge, la fabrication des toiles de lins, les batistes et linons, connaît un véritable essor à partir du dernier tiers du XVIème siècle. Le lin est alors cultivé dans les vallées humides voisines, tissé dans les campagnes environnantes par les mulquiniers. Les toiles ainsi produites sont blanchies dans des établissements proto-industriels appelés localement bueries, implantés dans les marais de la Somme, puis apprêtées dans des ateliers appelés ploieries. Les toiles sont ensuite expédiées dans toute la France, en Europe, et jusqu’aux Amériques. À son apogée à l’aube de la Révolution française, l’activité linière emploie 7 000 mulquiniers et plus de 70 000 fileuses autour de Saint-Quentin. Puis tout s’effondre, en une décennie…

Les ateliers de blanchiment de toiles de lin appelés Buerie d’Ostende dans les années 1780, implantés dans le quartier de l’actuel boulevard Cordier. 
Dessin de Tavernier de Jonquières - Coll. BnF, Cabinet des Estampes

Les ateliers de blanchiment de toiles de lin appelés Buerie d’Ostende dans les années 1780, implantés dans le quartier de l’actuel boulevard Cordier.
© Dessin de Tavernier de Jonquières - Coll. BnF, Cabinet des Estampes

Au milieu du XVIIIème siècle apparaît à Saint-Quentin une nouvelle fibre, le coton, mélangé au lin pour la fabrication de certaines toiles. En 1804, la première filature est fondée par la famille Joly de Bammeville, au pied de la basilique, marquant l’entrée de Saint-Quentin dans l’ère de l’industrie textile. Quatre ans plus tard la ville compte 5 filatures, employant un millier d’ouvriers. On dénombre 5 à 6 000 filateurs répartis dans une trentaine de filatures en 1825, et près d’une quarantaine de filatures en 1834. Face à la concurrence nationale et internationale, l’industrie textile saint-quentinoise se diversifie très rapidement, développant des filatures de laine qui deviendront d’ailleurs plus nombreuses que leurs homologues cotonnières dès 1870.

Deux filatures de coton, la Filature Rouge (à gauche) et la Filature Blanche implantée dans le quartier du canal de Saint-Quentin, site actuel de la gare, en 1808 et 1816, par la famille Joly de Bammeville.
Lithographie d’Edouard Pingret - coll. Médiathèque de Saint-Quentin

Les ateliers de blanchiment de toiles de lin appelés Buerie d’Ostende dans les années 1780, implantés dans le quartier de l’actuel boulevard Cordier.
© Dessin de Tavernier de Jonquières - Coll. BnF, Cabinet des Estampes

Les négociants et industriels saint-quentinois produisent une infinie variété de produits tissés, appelés les Articles de Saint-Quentin, comprenant des percales, piqués, gazes, mousselines, jaconas… Le tissage mécanique apparaît dans certains ateliers de la ville dès le milieu des années 1820, mais l’activité reste avant tout réalisée par des tisserands ruraux, travaillant sur des métiers à tisser à bras, installés dans les fermes et maisons des villages environnants. Dans les années 1870, la ville compte entre 1 500 et 2 000 tisseurs mécaniques, contre 40 000 tisserands ruraux à la même période. La tendance s’inverse au début du XXème siècle.

Usine de guipure Sidoux avant 1914, rue Camille-Desmoulins
Papier à entête - coll. Médiathèque de Saint-Quentin

Usine de guipure Sidoux avant 1914, rue Camille-Desmoulins
@ Papier à entête - coll. Médiathèque de Saint-Quentin

S’ajoutent tout au long du XIXème siècle plusieurs types de production : le tulle, implanté à Saint-Quentin dans les années 1820, la dentelle mécanique dans les années 1840, la broderie mécanique dans les années 1860, et la guipure dans les années 1880. À la veille de la Grande Guerre, le paysage industriel textile est très varié et diversifié.

Atelier de mécanique de la fonderie Flamant vers 1920, rue des Bouloirs
Papier à entête - coll. Archives départementales de l’Aisne, 20 Fi 364

Atelier de mécanique de la fonderie Flamant vers 1920, rue des Bouloirs
© Papier à entête - coll. Archives départementales de l’Aisne, 20 Fi 364

Au côté du textile s’est développée une autre industrie : la construction mécanique. Tout commence par l’installation d’un constructeur de machines à vapeur en 1819, Casalis & Cordier, qui tente de concurrencer les machines alors principalement anglaises. Puis d’autres constructeurs s’installent. Les métallurgistes saint-quentinois se spécialisent rapidement vers une activité régionale en plein développement après 1825, l’industrie sucrière. Peu à peu plusieurs constructeurs tels que Mariolle-Pinguet, Lecointe & Villette, deviennent de grands fournisseurs des usines de Picardie, du Nord, du Bassin parisien, exportant leur production jusqu’en Amérique du Sud. À la fin du XXème siècle, d’autres se spécialisent dans les équipements de manutentions (pompes, élévateurs, bandes transporteuses, vis d’Archimède…) : Moret, Boubiéla, Schmidt...

Si le textile et la construction mécanique sont les deux principales industries saint-quentinoises, elles ne sont pas les seules. D’autres se développent, répondant aux besoins d’une ville en pleine expansion, comme que l’agro-alimentaire (brasseries, minoteries), la construction (briqueteries, cimenteries, scieries). De nouvelles « spécialités » émergent, comme la fabrication de meubles qui prend une dimension industrielle dans l’entre-deux-guerres.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, après 49 mois d‘occupation allemande, l’industrie saint-quentinoise est anéantie. Les usines qui n’ont pas été détruites par les bombardements alliés ont été vidées de leurs machines, de leurs archives, de leurs plans… Dès 1919, plusieurs industriels textiles se regroupent au sein de la Cotonnière de Saint-Quentin, relevant des ruines les usines d’avant 1914, spécialisant chacune d’entre elles dans une production donnée. Mais ils ne retrouveront jamais tous les marchés perdus et ne peuvent faire face à une concurrence renforcée pendant leur « absence ». Puis la crise de 1929 entraine la fermeture d’usines déjà fragilisées. Dans les années 1930 apparaissent de nouveaux secteurs d’activité : la construction électrique (Hazemeyer, SITEL), puis dans les années 1950 la décentralisation de l’industrie parisienne conduit les ateliers Motobécane de Pantin à s’installer dans d’anciens tissages en 1951, avant de construire une usine nouvelle dans la commune voisine de Rouvroy en 1961. Motobécane atteint son plus fort développement en 1975 avec 4 200 salariés, puis, touchée par la crise, l’entreprise est reprise par MBK, puis Yamaha, qui aujourd’hui y produit notamment ses moteurs de vélos électriques pour l’Europe.