La grande guerre

Lorsque l’armée allemande pénètre dans Saint-Quentin le 28 août 1914, moins d’un mois après le déclenchement des hostilités, une longue période de 49 mois d’occupation commence. Alors que les hommes en âge d’être mobilisés sont partis sur le front, le reste de la population, plus de 40 000 personnes, sont pris au piège dans une ville désormais en zone occupée.

La salle des fêtes du Palais de Fervaques aménagée en vaste chambre d’hôpital militaire
© Coll. Jean-Michel Lemaître
Débute alors une période de cohabitation forcée avec l’armée allemande et son « inspection d’étape », chargée de la gestion du territoire occupé. Saint-Quentin devient ville de garnison, de ravitaillement et de soins pour les soldats allemands, environ 7 à 8000 hommes de troupe auxquels s’ajoutent 800 officiers. Des centaines d’immeubles d’habitation, commerciaux et industriels sont réquisitionnés. De nombreuses écoles communales, les lycées, le Palais de Fervaques sont transformés en lazarets, hôpitaux militaires où sont soignés les soldats blessés, allemands et alliés. Le théâtre municipal est réquisitionné à son tour pour des soirées théâtrales et cinématographiques pour distraire officiers et soldats.
Des ateliers de construction mécanique sont reconvertis en ateliers de fabrication ou de réparation d’armement. L’administration municipale est certes maintenue, sous contrôle allemand, mais le pouvoir est exercé par la Kommandantur, de plus en plus ferme au fil des mois. Le contrôle est total : couvre-feu, réquisitions, port d’un brassard rouge par les hommes de 18 à 45 ans parfois envoyés en camps de travail forcé (ZAB), diffusion des communiqués militaires allemands et d’un hebdomadaire à destination des populations civiles, La Gazette des Ardennes…

Cortège funéraire allemand sur la place de l’Hôtel de Ville, en 1917-1918
© Coll. Jean-Michel Lemaître
La famille impériale, Guillaume II et ses deux fils Auguste-Guillaume et Eitel-Frédéric, et des membres des familles princières de Bavière, Saxe, Hesse, Bade etc… viennent à plusieurs reprises à Saint-Quentin lors d’inspections du front, de cérémonies militaires, notamment lors de la grande cérémonie du cimetière militaire Saint-Martin, (actuel cimetière allemand), le 18 octobre 1915, voulu par Guillaume II dès novembre 1914.
Pour subvenir aux besoins de sa population, la municipalité met en place une monnaie de substitution, les bons municipaux, tandis que le ravitaillement alimentaire est en grande partie garanti par les envois de marchandises par le Comité Hispano-Américain à partir de l’automne 1915, mais aussi par le Comité de Ravitaillement Belge, permettant d’importer des denrées de Belgique en accord avec l’intendance allemande. Plusieurs centaines de Saint-Quentinois, les plus fragiles (personnes âgées, infirmes, indigents…), sont évacués par train en France, via l’Allemagne et la Suisse.
Ceux qui protestent ou qui résistent à l’occupation sont irrémédiablement condamnés, à des amendes, des emprisonnements dans la prison de la ville ou l’internement en Allemagne. 14 civils sont fusillés, 5 pour détention d’armes, 9 pour appartenance à un réseau d’espionnage. Les soldats français et anglais cachés par des familles saint-quentinoises depuis l’entrée des troupes allemandes sont pourchassés. Deux soldats britanniques sont tués.

Avis de l’exécution de 9 membres d’un réseau d’espionnage français, dont le Saint-Quentinois François Leclercq, 27 décembre 1916.
© Coll. Archives municipales et communautaires de Saint-Quentin
Régulièrement, les Saint-Quentinois croisent dans les rues de la ville des colonnes de prisonniers alliés, capturés sur le front, internés temporairement dans des usines désaffectées ou soignés dans les hôpitaux militaires, avant de partir vers l’Allemagne. Quant aux prisonniers russes ramenés du front de l’Est en 1916, ils succombent par dizaines dans les camps d’internement de la ville et les terrassements des tranchées. Dans les airs, les avions alliés survolent la ville, bombardent les infrastructures ferroviaires, entraînant la mort d’une quinzaine de civils.

Civils saint-quentinois évacués en mars 1917, photographiés à leur arrivée à Gilly, dans la banlieue de Charleroi, sous escorte militaire allemande.
© Coll. Archives municipales et communautaires de Saint-Quentin
Le repli progressif à partir de la fin de l’automne 1916 de l’armée allemande sur la ligne Hindenburg, dont la ville de Saint-Quentin forme un maillon, marque un tournant. Début 1917, les villages en avant de la ligne sont rasés, un à un. Puis, du 1er au 18 mars 1917 les 41 200 habitants sont évacués. Deux à trois trains partent quotidiennement en direction des Ardennes, du Nord, de la Belgique.
En avril 1917, les armées alliées sont aux portes de la ville, à quelques centaines de mètres de la ligne Hindeburg. Commence alors une longue bataille d’artillerie, l’armée allemande s’enfouissant dans les tranchées, les blockhaus, les caves des maisons, les souterrains de la ville. La basilique est détruite par un incendie dans la nuit du 15 au 16 août 1917. Le musée, dont les œuvres ont été évacuées par l’armée allemande, n’est pas épargné. Des îlots entiers du centre-ville et des faubourgs sont anéantis.
Le 1er octobre 1918, la Ière armée française du général Debeney libère Saint-Quentin. L’armée allemande s’est retirée dans le faubourg d’Isle et les communes voisines, sur les tranchées-arrière de la ligne Hindenburg. La ville est détruite à près de 70 %. Les immeubles encore debout sont inhabitables. Après l’Armistice, le retour de la population est lent : 250 en janvier 1919, 10 000 en juillet, 15 000 en novembre 1919. Les ruines sont peu à peu déblayées, les réseaux rétablis, les chaussées réparées, les tranchées et trous d’obus comblés. Des cités provisoires en bois et matériaux de récupération sortent de terre tandis qu’une longue décennie de reconstruction débute, symbolisée par l’éclosion de l’Art déco.

Les ruines du quartier de la basilique photographiées depuis le beffroi de Saint-Jacques, fin 1918 – début 1919.
© Coll. Médiathèque de Saint-Quentin